Assurance emprunteur : vers une redistribution des cartes ?
21 / 07 / 2022
Dans le paysage des assurances de personnes, l’assurance emprunteur tient une place à part. Force est de constater que la place du courtage y est encore timide. La loi Lemoine qui vient d’être adoptée peut-elle contribuer à ouvrir davantage ce marché, notamment en facilitant la résiliation et avec elle, la suppression du questionnaire médical (sous conditions) ?
Éléments de réponse avec Nicolas Koran, Directeur général adjoint d’Assuréa.
L’assurance emprunteur a une forte actualité ; Pouvez-vous nous préciser les principaux points de la réforme adoptée cette année ?
La loi n°2022-270 du 28 février 2022 pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, dite loi « Lemoine » a été votée et publiée au Journal officiel le 1er mars 2022. Cette loi porte principalement sur :
- La résiliation infra-annuelle : la loi donne la possibilité pour toutes les personnes qui ont contracté un prêt immobilier, de résilier à tout moment leur assurance emprunteur. La résiliation infra annuelle est applicable dès le 1er juin 2022 pour les contrats souscrits à compter de cette date et à partir du 1er septembre 2022 pour les contrats souscrits avant juin 2022. Tous les contrats seront donc concernés à partir du 1er septembre.(1)
- Des novations sur le droit à l’oubli dont les principales mesures sont : la réduction de la durée du droit à l’oubli de 10 ans à 5 ans (à partir de la fin du protocole thérapeutique) pour les pathologies cancéreuses et l’hépatite C. Cette disposition est applicable depuis le 2 mars 2022. La volonté du gouvernement est d’étendre la disposition aux maladies chroniques. Il a laissé aux signataires de la convention AERAS jusqu’au 31 juillet 2022 pour les définir sinon il reprendra la main.
- Un renforcement du devoir d’information précontractuelle des assurés pour les prêts immobiliers avec la mention du coût de l’assurance sur 8 ans venant compléter le coût sur la durée totale du prêt applicable dès le 1er juin 2022.
- L’obligation d’informer les assurés chaque année sur l’existence de leur droit à résiliation.(2)
- La suppression du questionnaire médical sous conditions (contrat inclusif) pour les prêts immobiliers pour des encours inférieurs à 200 000 € par assuré.(3)
Comment votre activité a-t-elle traversé la crise Covid ? Quel en a été l’impact ?
Le marché s’est brutalement arrêté en mars-avril 2020 avec l’arrêt de l’activité pour les nouveaux financements. Nous avons constaté très peu d’affaires nouvelles et essentiellement des dossiers de reprise en Loi Hamon ou Amendement Bourquin. Notre activité s’est réduite de plus de 50 % sur ces deux mois. Puis, durant les périodes de confinement successives, l’activité a pu être maintenue car tous les acteurs du marché banques, notaires, courtiers en crédit, agents immobiliers se sont adaptés.
Nous avons constaté un net rebond de l’activité en 2021 qui a été une année record chez Assuréa avec une augmentation de la production mais également du pourcentage de dossiers relatifs à une résiliation.
Nous avons également noté que la part des souscriptions dites « digitales » est devenue majoritaire avec, pendant la période, un allègement des formalités médicales. Cela a permis au plus grand nombre de souscrire sans devoir effectuer d’examens médicaux impossibles à réaliser à cette époque. Pour résumer, nous avons su nous adapter pour permettre à nos courtiers partenaires de travailler dans les meilleures conditions.
Y a-t-il eu des transformations enclenchées durant cette période ?
Le télétravail a été mis en place rapidement pour permettre une continuité de l’activité. Nous avons également animé notre réseau à travers des webinaires qui ont compté, pour certains, plusieurs centaines de participants ainsi que des entretiens en visio avec nos partenaires.
Nous poursuivons désormais notre animation commerciale à distance couplée à des rendez-vous de terrain grâce nos Directeurs Régionaux basés sur l’ensemble du territoire national. Nous faisons intervenir dans nos webinaires des compagnies d’assurance ainsi que des responsables de notre centre de gestion pour donner la possibilité au plus grand nombre de courtiers de poser toutes leurs questions. Ceux- ci sont très appréciés et sont très complémentaires à notre animation quotidienne.
Bien qu’ouvert depuis 10 ans, le marché reste fortement dominé par les banques. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Les banques sont juges et parties dans le process donc évidemment, cela introduit un biais. Qui plus est, elles ont su s’adapter en revoyant leur modèle : certains établissements octroient des remises conséquentes pour s’aligner sur les tarifs des délégations d’assurance en cas de mise en concurrence, d’autres se sont dotés de contrats individuels avec des comparateurs internes leur permettant de proposer leurs propres offres défensives face aux contrats alternatifs. Nous avons toutefois constaté au sein de notre production, une part grandissante de dossiers réalisés en reprise Hamon & Bourquin à hauteur de 35 % en 2021. Nous y voyons une évolution du comportement de l’emprunteur. Grâce à la possibilité de résiliation, celui-ci accepte plus facilement les conditions de la banque puis dans un second temps procède à la comparaison pour aboutir à une substitution de son assurance groupe bancaire.
Quelles sont les perspectives ?
La loi Lemoine va permettre de faciliter la résiliation pour le plus grand nombre d’emprunteurs. Effectivement, le consommateur pourra résilier à tout moment son assurance emprunteur en proposant un contrat à garantie équivalente. Le prêteur aura 10 jours pour répondre et émettre un avenant au contrat.
Toutefois, il faudra prendre en compte de probables hausses tarifaires sur le scope Lemoine eu égard à l’abandon du questionnaire de santé pour les encours de prêts immobiliers à moins de 200 000 € (400 000 € pour un couple) et les âges termes à moins de 60 ans.
Cela devrait réduire l’écart tarifaire entre les assurances groupe et les contrats alternatifs. L’impact positif de la résiliation infra annuelle pourrait être atténué par cette hausse tarifaire que les compagnies vont certainement devoir mettre en place pour palier l’impossibilité de tarifer le risque et sa mutualisation. Nous suivrons donc attentivement l’évolution du marché mois après mois ainsi que les positions des porteurs de risques afin d’affiner au fur et à mesure les tarifications si nécessaire.
(1) Le prêteur aura 10 jours ouvrés à réception de la demande pour se prononcer et émettre l’avenant de prêt. Il ne pourra revoir les modalités d’amortisse- ment. Le prêteur devra motiver son éventuel refus de manière explicite : intégralité des motifs, indication des garanties manquantes, etc.
(2) Applicable dès le 1er juin 2022 avec une année pour la mise en œuvre et à partir du 1er septembre 2022 pour les contrats conclus avant le 1er juin 2022.
(3) Pour les prêts immobiliers, suppression du questionnaire médical à l’adhésion pour lesquels l’encours par assuré est inférieur à 200 K€ après application de la quotité et dont le terme intervient avant le 60e anniversaire de l’emprunteur. Applicable dès le 1er juin 2022 ; l’encours s’entend par assuré, donc jusqu’à 400 K€ pour un couple.